Et voilà.
C’est peut-être le moment d’en finir et je ne sais pas par où commencer. 300 jours, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour quitter mon travail par une rupture conventionnelle de contrat qui, selon mon patron, permettait aux deux parties d’y trouver leur intérêt. Sans doute parlait-il de ses deux parties à lui. C’est aussi pendant ces 300 jours que j’ai retrouvé Pôle qui au premier regard m’avait l’air fidèle à ce qu’il était la dernière fois que je l’avais croisé, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’en réalité le temps agissait sur lui à l’inverse de ce qu’il fait pour le vin. Je me suis inscrit chez Pôle avec un projet clair, projet qui était déjà le mien avant que mon patron ne m’invite à aller voir ailleurs si il y était, projet qui a précipité ma sortie. De là le feu d’artifices pouvait débuter. Un conseiller devient mon référent, son nom change deux fois avant même que j’ai pu le rencontrer. Une conseillère devient alors ma référente. Je rencontre deux ou trois de ses collègues avant d’avoir le plaisir dissimulé de la découvrir grandeur nature. A chaque rendez-vous, et face à chaque conseiller, à savoir en moyenne un nouveau par entretien, je suis contraint de répéter, rappeler ma situation, mon projet, mes questions, mes attentes, mes initiatives. Sans obtenir aucune réponse. J’ai les idées claires, je sais où je veux aller, j’ai d’ailleurs récupéré par moi-même bon nombre d’informations à cet effet et j’ai pourtant la sensation de ne pas parler la même langue que mes interlocuteurs successifs. J’ai souhaité m’engager dans un projet de reconversion professionnelle. Après dix années dans la « comm », j’ai décidé de transformer la passion en métier et de devenir pâtissier. Un pâtissier qui va ensuite créer son entreprise. Evidemment je ne suis certainement pas objectif, mais en arrivant chez Pôle j’avais la conviction que mon cas serait tout à fait simple à gérer puisque je savais ce que je voulais. J’ai rapidement compris à quel point j’étais en train de me tromper, inutile d’en refaire l’article maintenant, vous avez les 299 jours précédents celui-ci qui y sont consacrés.
Avec ou sans projet, avec ou sans diplôme, avec ou sans ressources, lorsqu’il s’agit de revenir vers l’emploi d’une manière ou d’une autre, c’est chez Pôle que cela se passe. Et si ce n’est lui, c’est donc sa soeur, la mission locale. Certes il existe d’autres itinéraires, d’autres structures, mais celle que les décideurs ont décrété officielle et référente, c’est Pôle. Celui que l’on scrute à la loupe pour en sortir des statistiques, c’est Pôle. Un Pôle, c’est tout. Mais Pôle n’a pas les moyens de faire, ou alors si peu. Ses conseillers ne sont pas compétents, pas tous, et pas sur tous les sujets. De plus ils ne sont pas désignés référents d’un demandeur d’emploi parce qu’ils maîtrisent les questions liées à la situation de ce dernier. Tout cela est affaire de hasard et cette exception confirme la règle expliquant qu’il fait bien les choses, le hasard. Dans mon speed dating avec ces conseillères et conseillers, j’en ai rencontré une qui lisait mes billets. Elle s’est alors permise de m’en demander plus sur mes difficultés puis elle m’a fait part des siennes. Comme je l’ai écrit quelques fois ici, je ne jette pas la pierre à Pôle. Ses conseillers sont convertis en soldats kamikazes que l’on envoie se faire exploser contre des chômeurs entassés ça et là. Dommages collatéraux. Les commanditaires espèrent que sous l’onde de choc quelques chômeurs finiront par rester cloitrés chez eux sans plus rien oser demander. Les conseillers, eux, finiront par mourir professionnellement en martyr, certains se seront même tués à la tâche. Dans ce genre d’attentat, les maîtres-terroristes trouvent toujours la bonne formulation, celle qui anesthésie les troupes qui passeront ainsi du désespoir à la détresse sans douleur. Ou presque. Un attentat social, je pèse mes mots, au gramme près comme en pâtisserie. Envoyer des hommes et des femmes sans formation pour ce type de combat face à une population en colère et avec des revendications légitimes, consacrer de l’argent aux salaires d’experts en communication qui signeront des discours dont les annonces ne serviront qu’à remplir les colonnes de la presse au lieu de mettre ces moyens à disposition des gens de terrain, pousser la population au bord du précipice et lui chanter le couplet de la solidarité pour que tout le monde saute ensemble, j’appelle cela un attentat. Sauf que les terroristes, ceux-là, ne revendiquent jamais rien.
Malgré cela, l’histoire connait une fin des plus heureuses pour moi. Ce chapitre, plutôt que l’histoire. Je souhaitais raconter mon expérience de futur reconverti professionnel en m’imaginant que mes échanges avec Pôle serait d’une extrême… richesse. A leur manière, ils l’ont été. Je savais ce que je voulais faire et je devais me conformer au parcours non balisé que l’on me proposait. Sur ce chemin j’ai fait tout un tas de rencontres, certaines provoquées , d’autres fortuites. Pôle, la Maison de l’Emploi, le Greta, la Chambre de Commerce et d’Industrie, la Chambre des Métiers et de l’Artisanat. J’ai reçu des conseils, des bons, des mauvais. J’ai fait des choix, des bons, des mauvais. J’ai pris sur moi, j’ai perdu patience, j’ai souri, je me suis crispé, j’ai même cessé d’y croire parfois. Puis finalement, les clés de ma reconversion professionnelle m’ont été remises. Il y avait très peu de place à prendre mais j’en fais partie, je démarre la première étape, le retour à l’école le temps d’obtenir un CAP Pâtissier. Pour autant, je n’en oublie pas les autres, les autres candidats, et je compte bien faire honneur à cette chance qui m’est donnée. Je sais maintenant par quoi il faut passer, je sais également qu’il ne suffit pas de se donner soi-même les moyens de ses ambitions. Ceux qui vous diront le contraire sont des menteurs, des privilégiés, ce sont eux qui tiennent la carotte et je vous laisse deviner qui joue le rôle de l’âne. Tout cela vient d’en haut, tout en haut, beaucoup trop haut pour nous. Il ne s’agit pas des personnes que vous rencontrez ni même de leurs supérieurs hiérarchiques. C’est encore plus haut. Tout en haut. C’est un constat triste que je fais dans une période plutôt heureuse si je m’en réfère aux décisions qui me concernent mais les dysfonctionnements et autres aberrations peuvent avoir raison de votre volonté aussi bonne soit elle. Pour autant, je ne peux que vous conseiller de foncer. J’évoquais à l’instant les rencontres faites au cours de cette aventure, la plus marquante est sans aucun doute celle avec vous. Chers lectrices, chers lecteurs, chères héroïnes, chers héros, je tiens encore à vous remercier. Vous êtes des proches, des amis de longue date, des anonymes, des professionnels de l’emploi ou de la pâtisserie, des futurs reconvertis professionnels, des reconvertis professionnels confirmés, des curieux, des chômeurs. J’ai eu grand plaisir à échanger avec vous, à partager nos expériences, à suivre vos conseils, à vous faire part des miens à ma petite échelle. Certains m’ont avoué que mes récits les aidaient énormément dans leur parcours professionnel actuel, cela me dépasse et j’en suis vraiment touché. J’ai tenté d’y mettre une pointe d’humour, plus proche du sarcasme que de la grande déconnade je vous l’accorde. A présent la balle est dans mon camp, il est temps que je me mette au travail pour de bon. La main à la pâte. Si vous me cherchez, je ne serais pas loin. Si je peux aider, c’est un bien grand mot, ce sera avec plaisir.
A ceux qui me lisent depuis le premier jour, j’ai envie de vous saluer à la manière d’une fin de comédie romantique américaine en vous disant que je suis heureux d’avoir fait partie de vos vies. Vous étiez les bienvenus dans ce morceau-là de la mienne. Pôle, rien n’a été simple entre nous et je crois que rien ne le sera jamais. Après ces 300 jours, je me dis que je suis parfois tombé dans ce piège que l’on m’a tendu, celui qui consiste à faire croire que c’est toi le fautif. Surveille cependant certains de tes conseillers qui quant à eux auraient tendance à croire qu’ils ne sont jamais fautifs… Je ne m’en réjouis pas mais nous ne sommes pas à l’abri de nous revoir toi et moi. Alors à un de ces jours et à vous tous à (très) bientôt.
Quand j’y repense, avec tout ce que j’ai vécu, j’aurais pu en faire un blog.