Je vis une relation libre avec la nostalgie, cela fait quarante ans maintenant. Les noces d’émeraude n’y auront rien changé, je sais qu’elle est là pour moi mais je n’accepte que rarement de la voir, le dimanche soir généralement. Nous ne faisons pas exception à ces vieux couples pour qui le temps a fait l’habitude, puis l’habitude a fait le couple. Malgré cela je n’éprouve rien pour elle. Je respecte ce qu’elle est et je crois qu’elle en fait tout autant à mon égard. Nous nous acceptons, nous vivons côte à côte sans jamais nous toucher. Je ne le veux pas. Je ne veux pas que l’on se touche. Les soirs d’automne sont les plus fourbes, c’est la saison qui veut cela. La nature ne se pare jamais de plus belles couleurs que quand elle meurt, les feuilles rouge feu feignent d’être éternelles. Les regrets aussi, murmurait leur muse. Les miens sont trop éphémères pour faire des souvenirs. J’ai cette vilaine habitude qui me mène au bout du chemin, tout au bout. Lors d’une balade en forêt, j’insiste pour terminer la boucle plutôt que de faire demi-tour. J’en fais de même au quotidien, lorsque la balade traverse les jours. Pour cela, autour de moi, on loue du courage et de la force et j’ai toujours beaucoup de mal à réaliser ce que l’on veut me dire avec ce qui ressemble à des félicitations. Je ne réussis pas là où d’autres échouent, je rate parfois quand je pourrais réussir. Et puis, je réussis. J’ai la modestie qui sonne faux quand je tiens tête à la nostalgie. Nos disputes sont aussi brèves que nos étreintes, je n’embrasse pas le premier soir, les suivants non plus parfois. Qu’elle claque la porte quand elle part, je n’ai pas besoin d’elle pour me voir en face, j’ai un miroir au fond des yeux.
L’aventure est au rendez-vous de chaque instant lorsqu’on a décidé que tel pas, nous mène à tel endroit. Et ainsi de suite. Après avoir tiré le rideau sur ma vie professionnelle la plus riche jusqu’à maintenant, j’ai avancé d’un pas nouveau. Entre temps, j’ai eu quarante ans, et presque toutes mes dents. Il parait que c’est un âge de crise. Je parie l’inverse.