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Descendu du ciel

Il y a déjà quelques semaines, mon copain Laurent s’inquiétait de ne plus avoir de nouvelles. Des nouvelles de toi, Pôle, de moi, de nous quoi. L’emploi, c’était son métier à Laurent. Puis un jour, en arrivant au carrefour de sa vie professionnelle, il a décidé de prendre une autre voie et je pense qu’il n’en est que plus heureux. Pôle, tu auras compris que je te parle de Laurent parce que toi et moi connaissons bien ce sujet. Et comme Laurent sait de quoi il parle et qu’il cherchait des nouvelles, en voici.

J’ai raccroché ma veste de pâtissier dans les vestiaires du tribunal de commerce de Périgueux. J’ai découvert des métiers pour moi inconnus jusque là. Le juge, le greffier, le mandataire judiciaire, le liquidateur, le commissaire priseur, un peu l’huissier, un peu l’avocat. Sur le papier, c’est effrayant. Particulièrement sur le papier recommandé avec accusé de réception. Seulement moi je n’ai pas le temps d’être effrayé, plus exactement j’estime que c’est un état qui ne m’apporterait rien, qui ne m’aiderait pas. Par chance, le simple fait de me le dire me suffit pour m’en convaincre et continuer à avancer. Je suis emporté dans la tempête silencieuse de la liquidation judiciaire de mon entreprise. Tout se démantèle étage par étage sans même que je sois particulièrement tenu informé. Le fonds de commerce invendu est rendu à son propriétaire agrémenté de quelques larmes, le commissaire priseur joue du marteau, mes années de travail se vendent aux enchères et c’est par le biais de Laurent que je l’apprends. Jusqu’à ce qu’un matin je reçoive ma convocation pour l’audience au tribunal de commerce, la dernière séance, celle durant laquelle je vais découvrir ce qui s’est décidé durant ces mois de procédure. Cela ne sera pas une fin pour autant, j’en doute, un véritable combat m’attend pour démontrer comment la crise sanitaire m’a privé de toutes solutions pour sauver mon activité, comment elle a transformé les fondations en incertitudes, comment elle a impacté mon quotidien et celui de ma famille. Je ne laisserai personne m’infliger quoi que ce soit de plus. Après tout, je n’ai pas fauté.

Le Père Noël vient tout juste de repartir. Jusqu’à nouvel ordre, je préfère croire qu’il existe, cela me laisse imaginer que le fond de l’air peut encore s’adoucir. En cette fin d’année, j’ai pu enfiler de nouveau ma veste de pâtissier sans repasser par les vestiaires du tribunal de commerce. J’ai à nouveau pu créer, produire, échanger, transmettre. Puis je vais débuter une nouvelle activité professionnelle. Dans l’espace temps de la durée déterminée, certes, mais tout de même. Je n’avais pas envisagé de redevenir salarié, je l’avais même exclu, mais le plan a changé. Comme le contexte, comme le monde.

Je ne vais pas tenter de réparer. Je vais reconstruire.

Mes amis, mes amours

J’ai toujours eu la chance de voir apparaître une lueur même dans les passages les plus troublés. La chance fait souvent référence au hasard alors je ne sais pas s’il s’agit réellement du bon terme.

Ma chance, c’est d’avoir de bons vieux amis. De ceux que l’on voit peu parce que les chemins s’éloignent sans jamais se perdre, les mêmes qui savent que le moment est venu de raviver la flamme. La voilà ma lueur. J’ai reçu un texto de Jonathan, l’un des plus vieux parmi les bons vieux amis. Il est au courant de la liquidation judiciaire, de la proche fin d’aventure, il sait d’où cela part et voit comment cela se termine. Alors il me montre qu’il est là, que Yohann et Aurélien sont là aussi. « On se voit peu mais on se voit bien » chantait un de nos artistes préférés. Ces jours-ci, il m’arrive de me demander ce que ces trois-là pensent de moi, ou plus exactement de ce que je fais de moi, ici. Je suis resté là où je suis né quand eux choisissaient d’autres horizons pour s’épanouir. Leurs parcours respectifs m’échappaient alors, les réussites comme les échecs, j’en venais à espérer suffisamment fort que chacun soit heureux pour établir une forme de compensation. Et je me disais que de leur côté ils en faisaient peut-être autant ce qui, à mon égard, est une aventure palpitante tant les cycles que je donne à ma vie sont riches en rebondissements.

Vu de l’extérieur, mon parcours pourrait ressembler à un vulgaire brouillon griffonné à main levé, un jour ici, un jour là et demain de retour ici. Ou là. La réalité est évidemment toute autre. Je dis « évidemment », je ne devrais pas, il n’y a rien d’évident sur le chemin, qu’il soit droit ou sinueux. Mais ce chemin justement, je le dessine. Mieux, je le décide. Chaque expérience me fait grandir, m’enrichit (pas au sens où l’entend mon banquier mais bon, comme il ne fait pas partie de mes bons vieux amis cela ne me tracasse pas trop) et me rend meilleur. Pas meilleur que toi, pas meilleur que lui, simplement meilleur. J’ai appris à travailler avec ma tête, avec mes mains, avec ma tête et mes mains, j’ai appris à travailler seul, avec les autres, j’ai appris d’eux, je leur ai appris. Je pratique l’humilité mais pas la modestie. Cela signifie que je suis impliqué et volontaire sans avoir besoin de préciser à qui veut l’entendre que je suis compétent et qu’en même temps, si je suis compétent, je sais le dire. Par honnêteté, ne serait-ce qu’envers moi-même, je sais dire avec la même facilité quand je ne sais pas, quand je ne sais pas faire voire même quand je suis particulièrement mauvais. Mais ce dernier cas n’arrive jamais, en toute modestie.

Pôle back II

Et cela n’a pas manqué. Parfois la meilleure des volontés ne peut tenir tête à une réalité économique saupoudrée de crise sanitaire. Nous avons vécu de beaux moments, d’autres plus compliqués, nous restions fiers de cette charmante petite boutique que nous étions parvenus à ouvrir mais il fallait se rendre à l’évidence. La marche était désormais trop haute. Dehors, cette nouvelle vie du chacun chez soi nous empêchait de nous relancer et d’y croire encore. Nous étions installés en ville depuis moins d’un an lorsqu’il a fallu tirer le rideau sur ordre de l’Etat. Nous acceptions sans contester d’être un établissement dit « non-essentiel ». C’était la vérité, nous n’étions pas essentiels à la vie de nos clients, notre travail quant à lui l’était pour nous. Alors nous avons été aidés financièrement, à la hauteur de notre activité passée, et cela nous a permis de survivre. Nous ne pouvons qu’en être reconnaissant. Cependant cela n’éradique pas les incertitudes, tout se vit au jour le jour et l’avenir devient un bien grand mot. S’agit-il de la peur ou de la conviction de s’enfoncer dans une impasse ? Les deux sans aucun doute. Nous avons cru en nous, des gens ont cru en nous alors même qu’ils n’avaient rien à y gagner si ce n’est la satisfaction de nous aider. Décevoir certains d’entre eux est un déchirement supplémentaire mais à cette étape il est indispensable de se recentrer pour prendre la meilleure décision. On ferme. Rideau.

Alors me voilà, je reviens. Je dirais plutôt que je repasse, comme on repasse par la case départ mais avec l’expérience de terrain du tour précédent. Pôle, je repasse et je ne compte pas rester, comme tout cela n’était pas prévu je ne voudrais pas déranger. « Je reste à l’écoute de toutes les opportunités » me dis-je comme si quelqu’un m’attendait. Je pratique parfois l’auto-persuasion mais je sais bien qu’au fond à part toi, Pôle, personne ne m’attend. Oui, toi tu m’attends. Plus exactement tu attends que je note précisément sur ma petite fiche l’intitulé précis du métier que je recherche. Tu m’en as fais toi même la demande, hier par téléphone, et avoir si vite de tes nouvelles m’a fait penser que tu n’étais pas rancunier. Je vais alors faire honneur à mon matricule tout en rêvant à des lendemains de donnant-donnant. Peut-être que la prochaine fois, c’est moi qui te demanderais quelque chose.