Cher Pôle,
Comme on se retrouve… J’ai la naïveté de penser que ni toi ni moi n’éprouvons une quelconque forme de plaisir à l’aube de ses retrouvailles. J’ai pris mon envol il y a quelques années, je partais pour une autre. Pour une autre vie, une aventure d’un jour ou d’un soir, peut-être quelque chose de plus sérieux, ni toi ni moi ne pouvions le savoir à cet instant. Toi, l’expérience aidant, tu en as vu revenir des aventuriers, des destins fragiles, des mauvais choix, des erreurs de parcours. Et moi, j’aurais voulu n’être aucun de ceux-là. J’aurais voulu une fois encore te tenir tête tout en gardant mes distances, te sourire comme pour te dire « ça va, je n’ai pas besoin de toi ». Seulement voilà, si l’on prend la vie comme un jeu alors parfois on gagne, parfois on perd. Selon la situation, les pieds de nez que l’on faisait hier deviennent les pieds au cul que l’on prend aujourd’hui. La poésie s’enraye.
Je viens de vivre cinq années d’une reconversion professionnelle particulièrement enrichissante et pleine de… tout. Voilà un cycle que je n’oublierai pas, j’espère que depuis ton bureau tu m’as vu un peu, même de loin. Ma petite entreprise l’a connue, la crise. Si j’en crois les plus expérimentés que moi en la matière, et ils sont nombreux, cela fait partie du métier. Qu’ils soient chefs d’entreprise ou juges du tribunal de commerce, tous ont la bienveillance de m’expliquer qu’il s’agit des aléas et pas d’un échec. Voici des mots plus agréables à entendre que « liquidation judiciaire », « mandataire », « commissaire priseur » ou encore « ornithorynque », bien que ce dernier n’ait rien à voir avec la situation il n’en est pas moins difficile à entendre. Et à écrire. Des aléas donc et accessoirement une pandémie.
Je pourrais moi aussi utiliser une unité de mesure très à la mode : la vague. La première est venue de clients dits « professionnels » avec pignon sur rue qui ont un jour décidé de faire de leurs problèmes, mes problèmes. Leurs bouts de chandelles laissaient chez moi les premières braises et me mettaient face à mes premiers problèmes économiques. Tout cela serait encore du domaine de l’aléa si j’avais eu en face des gens respectueux et honnêtes. Sans faire dans l’analyse « éco » , voici venus les pertes de chiffre d’affaire, les licenciements et autres réjouissances. Mais nous nous sommes accrochés, je dis nous car tu te souviens, Pôle, ma bien-aimée m’accompagne dans cette aventure. A force de persévérance, nous trouvions une issue et une certaine forme de relance lorsque sonna l’heure de la fermeture administrative et du confinement. Deuxième vague. Il nous a fallu peu de temps pour réaliser que cette fois-ci, tout allait s’effondrer.