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Moi, Yohan Grangier, 31 ans, futur reconverti professionnel.

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Cher Pôle,

Comme on se retrouve… J’ai la naïveté de penser que ni toi ni moi n’éprouvons une quelconque forme de plaisir à l’aube de ses retrouvailles. J’ai pris mon envol il y a quelques années, je partais pour une autre. Pour une autre vie, une aventure d’un jour ou d’un soir, peut-être quelque chose de plus sérieux, ni toi ni moi ne pouvions le savoir à cet instant. Toi, l’expérience aidant, tu en as vu revenir des aventuriers, des destins fragiles, des mauvais choix, des erreurs de parcours. Et moi, j’aurais voulu n’être aucun de ceux-là. J’aurais voulu une fois encore te tenir tête tout en gardant mes distances, te sourire comme pour te dire « ça va, je n’ai pas besoin de toi ». Seulement voilà, si l’on prend la vie comme un jeu alors parfois on gagne, parfois on perd. Selon la situation, les pieds de nez que l’on faisait hier deviennent les pieds au cul que l’on prend aujourd’hui. La poésie s’enraye.

Je viens de vivre cinq années d’une reconversion professionnelle particulièrement enrichissante et pleine de… tout. Voilà un cycle que je n’oublierai pas, j’espère que depuis ton bureau tu m’as vu un peu, même de loin. Ma petite entreprise l’a connue, la crise. Si j’en crois les plus expérimentés que moi en la matière, et ils sont nombreux, cela fait partie du métier. Qu’ils soient chefs d’entreprise ou juges du tribunal de commerce, tous ont la bienveillance de m’expliquer qu’il s’agit des aléas et pas d’un échec. Voici des mots plus agréables à entendre que « liquidation judiciaire », « mandataire », « commissaire priseur » ou encore « ornithorynque », bien que ce dernier n’ait rien à voir avec la situation il n’en est pas moins difficile à entendre. Et à écrire. Des aléas donc et accessoirement une pandémie. 

Je pourrais moi aussi utiliser une unité de mesure très à la mode : la vague. La première est venue de clients dits « professionnels » avec pignon sur rue qui ont un jour décidé de faire de leurs problèmes, mes problèmes. Leurs bouts de chandelles laissaient chez moi les premières braises et me mettaient face à mes premiers problèmes économiques. Tout cela serait encore du domaine de l’aléa si j’avais eu en face des gens respectueux et honnêtes. Sans faire dans l’analyse « éco » , voici venus les pertes de chiffre d’affaire, les licenciements et autres réjouissances. Mais nous nous sommes accrochés, je dis nous car tu te souviens, Pôle, ma bien-aimée m’accompagne dans cette aventure. A force de persévérance, nous trouvions une issue et une certaine forme de relance lorsque sonna l’heure de la fermeture administrative et du confinement. Deuxième vague. Il nous a fallu peu de temps pour réaliser que cette fois-ci, tout allait s’effondrer. 

Delphine

Delphine est Mme Dièse. Elle est avant tout Delphine, mais également mon épouse, ma bien-aimée. Elle m’a suivi dans l’aventure M. & Mme Dièse, à moins que ce ne soit moi qui l’ai embarquée, il faudrait lui poser la question.

Delphine a une longueur d’avance sur moi. Elle a déjà amorcé la phase de rebond, elle prend de la hauteur à tous les sens du terme, elle n’imagine pas à quel point la compétition sera rude si elle me contraint à reprendre la tête de la course au « mieux-être ». Une course de fond, sans le moindre doute, et pour laquelle j’ai frôlé le faux départ un jour, la disqualification un autre. C’est d’ailleurs en reprenant mon souffle que j’ai perçu le métronome d’une nouvelle respiration. Je ne vais pas tomber pour autant dans l’auto-analyse de comptoir en prétendant que, ça y est, je suis devenu un grand garçon. Ce constat serait aussi approximatif que ce 31 décembre 2019 où nous nous sommes tous souhaités une bonne année. Mais quand même. Dans la mesure où je suis capable d’être la personne que j’aime le plus au monde, je suis plutôt bien placé pour sentir, et même ressentir, que quelque chose n’est plus là. Ou bien que quelque chose est là, justement. Ce genre de subtilité perdure, le « quelque chose » aussi. Je ne me laisse pas aller mais pourtant je prends le temps, je m’impose de ne rien précipiter mais je suis en ébullition, personne ne décidera pour moi mais cela ne m’émpêche pas d’écouter. A vrai dire, je crois n’avoir jamais eu de problème avec l’écoute. Est-ce que le prétendre ne révèlerait pas l’inverse ? Voilà le type de doutes qui fait son chemin, qui s’avère être une introspection des plus constructives dans la catégorie des indispensables.

Delphine et moi, nous suivons le même chemin. Le même et chacun le nôtre à la fois. Cette étrange fusion donne naissance petit à petit à une autre effervescence dans laquelle chacun se nourrit de l’énergie de l’autre. Et oui, Delphine a une longueur d’avance sur moi. Ce n’est pas tant que le rapport de force s’inverse, de force mentale et non physique bien entendu car Delphine sait pertinemment que je la prends quand elle veut au bras de fer ou sur cent mètres, départ lancé ou arrêté. Dans les faits tout s’équilibre, tout en prend le chemin. Delphine a décidé qu’il était temps d’être Delphine et je défie qui que ce soit d’en faire autant. Entendons-nous bien je ne défie personne d’être Delphine, ne jouez pas au plus malin. Je n’ai pas les convictions en berne et je ne dis pas que je ne suis pas Yohan. Je dis en revanche que l’on peut être plusieurs soi avant de trouver le bon. Les premiers « moi » ne sont pas des brouillons, le terme est trop agressif et renvoie à l’idée de ratures, d’erreurs ou pire, de fautes. Ils sont simplement les premiers et parfois les premiers ne sont pas les grands gagnants. Ils sont tout de même inscrits au palmarès, soit parce qu’on les a vaincus, soit parce qu’ils nous ont appris. Ce soir, je m’intéresse à ce qu’ils m’ont appris.

Delphine a décidé d’ouvrir sa librairie. Ceux qui la connaissent comprennent alors en quoi Delphine a décidé d’être Delphine. Elle sait qu’elle peut compter sur moi tout comme elle sait que l’on reparle quand elle veut de cette histoire de bras de fer.

NB : après moi, la deuxième personne que je préfère, c’est Delphine. C’est avec amour et plaisir que je vous fais découvrir comment vous pouvez contribuer à ce que Delphine devienne… Delphine ! C’est par ici : https://fr.ulule.com/ma-libraire-bien-aimee/

Au suivant

C’est comme un vertige. Pourtant sous mes pieds, je n’ai pas laissé la place au vide, je me suis même efforcé de remplir et remplir encore. Depuis l’an de grâce 2014, mes aventures folles avec « Pôle » (pour les connaisseurs) ont rendu ma vie professionnelle palpitante, au sens presque médical du terme. Un coeur qui s’emballe, qui aime, qui choisit, qui n’aime plus, qui tranche, qui dit oui, qui dit non, en somme, qui bat. Je me plais à croire que c’est moi qui lui donne la mesure, je comprends aujourd’hui que depuis tout ce temps ce n’est pas tout à fait le cas.

Il y a un an, Delphine et moi devions fermer le rideau de M. & Mme Dièse, l’établissement que nous ouvrions trois cent cinquante jours plus tôt, quatre ans après la création de ma pâtisserie, #Gourmandièse. Fermeture administrative, covid-19, confinement et une place dans les livres d’Histoire. Ma philosophie habituelle me donnait à voir une situation sanitaire effrayante et me proposait de considérer que, professionnellement, il ne s’agissait que d’argent. Analyse expéditive, inconsciente, utopique, sage, il y aurait autant de qualificatifs que de lecteurs.

Et nous voilà aujourd’hui, 15 mars 2021. A mes yeux, tout ce qui vient d’être vécu ne l’a pas été en vain, pas plus que par hasard. J’ai cette tendance à placer l’expérience au-dessus du résultat tout en me réjouissant d’atteindre mes objectifs. Cela me permet de vivre les choses pleinement, du début à la fin, si tant est qu’il y ait une fin lorsqu’on opte pour cette approche. Depuis plusieurs jours, peut-être quelques semaines, quelque chose a changé. Quelque chose a commencé à changer. Je manque de précision à cet instant et c’est un état qui me déplait car il sous-entend que je perds le contrôle. Quel contrôle exactement ? Voilà une question qui fait entièrement partie du problème. Quel problème exactement ? Et ainsi de suite… Adepte du plan B et du coup d’avance – on comprend mieux alors l’idée du « contrôle » – la fermeture administrative de notre établissement précipite le quotidien dans un sens puis dans l’autre. Et inversement. Il est impossible de décrire ce qui se joue en moi durant cette période centrifugée, je n’ai pas eu les mots pendant, je ne les ai encore pas maintenant. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer les yeux. J’arpente un chemin professionnel que j’ai choisi et dont le sujet me passionne. La pâtisserie, le goût en général, la recherche de la qualité, du « bon manger », l’alimentation, les artisans, le partage, la transmission. Voilà pour moi de vrais sujets politiques au sens noble du terme. D’ailleurs, cette forme de politique, locale, de conviction, engagée, de terrain, est entrée dans ma vie en 2020 par le biais d’un rôle de conseiller municipal. Ce n’est pas un détail. Cette nouvelle expérience, je le ressens sincèrement, fait appel à ce qu’il y a de meilleur en moi. L’action, le fameux monde meilleur, les gens, les relations, les combats, les idées et puis, n’en déplaisent à l’eau tiède, les résultats ! Alors oui, quelque chose a commencé à changer. Pas grâce à cet engagement qui ressemble plus à un nouveau moyen d’expression mais peut-être bien grâce à quelques drôles de dames capables à leur manière de graisser les rouages. Comme vous n’êtes pas prêts à en savoir plus sur « leur manière », je me contenterai d’un affectueux clin d’oeil à Sophie, Amandine et Christine. J’embrasse au passage Delphine par simple plaisir. J’ai pris conscience et la phrase pourrait s’arrêter là. Plus précisément, je prends conscience, la subtilité de la conjugaison est capitale. Est-ce que ce que je fais me permet d’aller là où je souhaite aller ? Est-ce que la façon dont je le fais me le permet davantage ? Je vous prie d’accepter mes excuses si soudain vous appliquez cette réflexion à vous-mêmes. Je suis capable de beaucoup de choses, je sais pour lesquelles je suis doué et compétent tout comme je connais mes lacunes, mes défauts et… mon incompétence ! Savoir qui on est fait parfois de nous quelqu’un de prétentieux, je n’ai jamais compris par quelle logique, sans doute parce que cela révèle une certaine assurance. Cependant savoir qui on est ne signifie pas savoir où on est. L’expérience avant le résultat.

Ce quelque chose commençant à changer me fait dire que nous ne rouvrirons pas notre établissement. Cela ne m’empêchera pas d’ouvrir d’autres portes.